- PATRONALES (ORGANISATIONS)
- PATRONALES (ORGANISATIONS)Une organisation patronale n’est pas constituée par la réunion de dirigeants industriels. C’est une association d’entreprises réunies pour défendre leurs intérêts matériels et moraux. Son existence suppose donc une économie où la notion d’entreprise ait un sens et un système politique où l’organisation de groupes d’intérêts soit légitime et efficace.Il n’y a donc pas, à proprement parler, d’organisation patronale avant qu’un certain degré de développement industriel ait clairement différencié employeurs et salariés: les corporations d’artisans ont généralement été des institutions de droit public et elles englobaient souvent maîtres et compagnons. Il n’y en a pas non plus quand le régime économique exclut toute forme de libre entreprise: c’était par une fiction juridique que l’U.R.S.S. comprenait des représentants «employeurs» dans sa délégation à la Conférence internationale du travail. Il n’y en a également pas lorsque l’État refuse tout intermédiaire entre les citoyens et lui (comme en France au début du XIXe siècle), ou entend rester le maître absolu de toute activité politique: si l’Espagne franquiste et le Portugal de Salazar possédaient des organisations patronales, bien que leur influence fût mineure et qu’elles fussent de toutes parts contrôlées par les pouvoirs publics, l’Allemagne national-socialiste les avait purement supprimées.Les organisations patronales sont donc le fruit du libéralisme économique et politique. Par leur poids même ces associations, qui ont vocation pour défendre les valeurs de la concurrence, ont fréquemment organisé et apprivoisé celle-ci; chargées de représenter la libre entreprise, elles ont participé à l’évolution vers une économie concertée.L’organisationL’organisation patronale apparaît spontanément sous forme locale ou sous forme d’association d’industries. Elle est même souvent liée de très près à la vie politique municipale et assure parfois un service public; ainsi ont été créées les chambres de commerce, associations privées en Angleterre et aux États-Unis, mais groupements de droit public en France et en Autriche.En revanche, c’est généralement à une influence extérieure que sont dues des organisations plus vastes ou plus complètes: la menace d’une révision des barrières douanières, par exemple, a souvent mobilisé de grands rassemblements. Plus précisément, l’organisation nationale se constitue le plus souvent pour offrir un répondant à un interlocuteur: soit l’État, qu’il suscite directement une telle confédération (c’est le cas en France), ou que cette dernière se forme pour agir sur le législateur (la National Association of Manufacturers est d’abord un groupe de pression sur le Congrès américain); soit les syndicats ouvriers: par exemple, la confédération norvégienne, la N.A.F. (Norsk Arbeidsgiverforening), née un an après la confédération ouvrière, L.O. (Lands Organisasjonen).En même temps que les grandes confédérations se définissaient, elles se distinguaient plus clairement des groupements, parfois inspirés ou subventionnés par elles, mais de vocation différente: associations semi-politiques pour la défense de la libre entreprise, instituts d’études ou sociétés de publications. Elles se différenciaient également des chambres de commerce, plus spécialement chargées, quel que soit leur statut, de gérer des services communs (transports, communications, ports, foires, etc.), bien que la distinction reste fragile et soit même dénuée de sens dans le cas des États-Unis.L’étendue et l’objetLe champ couvert par une association patronale varie beaucoup: parfois strictement limité à l’industrie de transformation, parfois au contraire incluant les services, banques, assurances, commerce et même, dans certaines circonstances, l’agriculture. Elle répond alors à tous les intérêts du patronat, ou selon une autre formulation, de l’entreprise.Ces différences d’étendue sont généralement liées à une différence d’objet; celle-ci correspond souvent à une différence d’interlocuteur: l’association est d’abord tournée vers les intérêts économiques (les tarifs douaniers, la législation fisçale, etc.) et s’adresse aux pouvoirs publics; ou elle s’intéresse aux relations avec les salariés et négocie avec les syndicats ouvriers et les pouvoirs publics, ordinairement représentés par un ministère ou une agence spécialisés. Ces deux fonctions sont fréquemment confiées à des associations séparées: ainsi en Allemagne, le Bundesverband der deutschen Industrie (B.D.I.) ne remplit que la première fonction, la Bundesvereinigung der deutschen Arbeitgeberverbände (B.D.A.), que la seconde. C’est également le cas de la Suisse, des Pays-Bas, des pays scandinaves et des pays d’influence anglaise. Font exception, parce qu’ils ont uni les deux fonctions dans une même organisation, le Conseil national du patronat français (C.N.P.F.), la Confindustria italienne et la Confédération belge; depuis 1965, en Grande-Bretagne, les trois associations qui se partageaient jusque-là la représentation patronale, la Federation of British Industries, la British Employers Confederation et la National Association of British Manufacturers, ont fusionné dans la Confederation of British Industry (C.B.I.).D’après les titres eux-mêmes (mais il ne faut pas se laisser égarer par le mot industry qui couvre, en anglais, toute activité économique; c’est ainsi que la C.B.I. admet des entreprises de transport, et même, comme associés, des banques et des compagnies d’assurances), on remarquera que les associations du premier type sont souvent plus étroites que celles du second: le B.D.I. allemand se borne à l’industrie, tandis que le B.D.A. admet le commerce, la banque, l’artisanat, et même l’agriculture. Naturellement il ne s’agit là que de tendances.Toutes ces associations reposent sur l’adhésion libre des entreprises. Il n’est cependant pas exclu, dans certains régimes politiques où l’organisation professionnelle a procédé surtout de l’initiative des pouvoirs publics, que l’adhésion soit officiellement ou pratiquement obligatoire. Il est pourtant intéressant de noter qu’en Autriche, où une vieille tradition corporative impose l’affiliation à la Bundeskammer de l’industrie et du commerce et donne à celle-ci le monopole des conventions collectives, des industriels ont créé parallèlement une autre organisation: la Vereinigung österreichischer Industrieller (Union des industriels autrichiens).La structure interneToute organisation patronale comporte des groupements de spécialités assez restreintes: des entreprises qui fabriquent un même produit ou s’adressent à un même marché (ce qu’on appelle, dans la terminologie française, des «syndicats», des groupements plus larges à la fois par la définition de la spécialité et par les branches regroupées (des «fédérations» ou des «unions» dans le même vocabulaire) et des groupements géographiques locaux ou régionaux (groupements interprofessionnels ou horizontaux). Le tout peut être coiffé par une confédération.La réalité est cependant plus complexe que ne le donnerait à penser ce schéma analogue à celui de la structure des syndicats ouvriers D’une part, le découpage des syndicats et des fédérations, loin de procéder d’un plan rationnel, est le résultat de faits historiques: de la présence d’un syndicat ouvrier (l’énorme Union des industries métallurgiques et minières, en France, répond à la fédération C.G.T. des métaux), de l’action d’un homme qui a bâti son organisation, et, bien sûr, des particularités économiques d’un pays (c’est la principale raison pour laquelle la Fédération des éleveurs est l’un des quatre groupements patronaux majeurs de l’Australie).D’autre part – et cet état de fait n’existe pas pour les syndicats ouvriers –, les deux fonctions que l’on a distinguées au niveau des confédérations ne peuvent être exercées ni tout à fait séparément ni tout à fait ensemble: lorsqu’elles appartiennent à des unités distinctes, il est nécessaire de mettre sur pied une étroite collaboration. Lorsqu’elles sont réunies dans le même organisme, on doit généralement les confier à des instances différentes, qui souvent ne couvrent pas le même champ. Ainsi, en France, les syndicats s’occupent habituellement de manière exclusive de problèmes économiques; les unions, beaucoup plus vastes, se consacrent parfois aux problèmes sociaux.Enfin, les différences sont fréquemment considérables dans la répartition des pouvoirs: l’organisation nationale interprofessionnelle peut être une simple délégation auprès des pouvoirs publics, ou un lieu de concertation pour les fédérations (c’est le sens original du Conseil national du patronat français); ou encore l’autorité suprême du monde patronal, contrôlant toutes les actions des fédérations subordonnées. Ainsi en Suède et en Norvège, la S.A.F. (Skiesartens Arbeidsgiverforening) et la N.A.F. tiennent les cordons d’une bourse confédérale bien garnie qui permet de soutenir les adhérents affrontés à une grève, et donnent leur visa aux conventions collectives.Les exceptionsL’organisation existant aux États-Unis échappe presque totalement à ce schéma: les regroupements nationaux n’y ont qu’une influence limitée et un pouvoir très réduit, qu’il s’agisse de la National Association of Manufacturers ou de l’U.S. Chamber of Commerce. Le plus souvent, la négociation n’intéresse pas une branche professionnelle entière (il y a, bien sûr, quelques exceptions notables, comme celles de la sidérurgie et des chemins de fer). En fait, seules ont une importance réelle les associations locales (ou «métropolitaines») qui fournissent à leurs adhérents des services variés.Quand la négociation a lieu au niveau de l’entreprise, la fonction sociale de l’organisation patronale tend à disparaître, et c’est d’autant plus vrai que la taille moyenne de l’entreprise est plus élevée.Il en est ainsi pour un certain nombre de pays, dont les États-Unis, le Canada (anglophone surtout), l’Amérique latine (sauf le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay), le Japon.Enfin dans les pays du Tiers Monde où l’industrie est souvent concentrée dans un nombre restreint de grandes unités, parfois à liaisons internationales, il est fréquent que l’association patronale n’ait guère d’importance en dehors de quelques groupements de grandes villes.Les fonctionsLes activités des organisations patronales sont nombreuses: démarches auprès du parlement et du gouvernement, action sur l’opinion, études juridiques, fiscales, financières, gestion de services communs à une ou plusieurs branches (qu’il s’agisse d’instituts de recherche, de normalisation, de représentation à l’étranger, d’assurances), négociation des conventions collectives ou conseils aux négociateurs, participation à des organismes bipartis ou tripartis qui vont de l’assurance maladie à l’assurance chômage en passant par la formation professionnelle et la sécurité. Plutôt que de chercher à être exhaustif, mieux vaut, au prix de quelque arbitraire, regrouper ces activités en trois fonctions dominantes.Le groupe de pressionFaire entendre sa voix dans l’élaboration des lois, du dépôt du projet à la rédaction des décrets d’application, a toujours été une préocupation majeure de l’organisation patronale, qu’elle en appelle volontiers à l’opinion publique, comme aux États-Unis, ou qu’elle préfère une action plus discrète, comme en France [cf. GROUPES DE PRESSION]. Depuis une vingtaine d’années, l’intervention auprès de l’exécutif est devenue plus nécessaire: les décisions économiques appartiennent souvent plus au gouvernement qu’au législateur. Enfin et surtout, le développement de la prévision, de la programmation ou de la planification a multiplié les occasions où le patronat participe à l’élaboration des politiques économiques et est consulté sur les choix à faire. Les formes de cette association peuvent être fort différentes: tantôt très corporatives, quand la loi prévoit la consultation des intérêts organisés et que le parlement entérine le plus souvent ce qui reçoit leur accord (Suisse, Autriche), tantôt aussi peu institutionnalisées que possible (concertation occasionnelle en Allemagne) tantôt revêtant des formes originales (planification en France et en Belgique, par exemple).Ces consultations posent toutefois des problèmes délicats, puisqu’elles associent plus étroitement à la vie politique des organisations qui ont toujours tenu à garder leurs distances pour préserver leur unité et leur continuité. Il ne peut plus guère exister, de fait, un «parti de l’industrie» pour répondre au parti ouvrier. Mais les sympathies ne peuvent être également réparties et elles s’expriment habituellement de manière tangible. Un fort sentiment national peut contribuer à faire placer ces problèmes au second plan: face à une puissance étrangère dominante, surtout si elle a été colonisatrice, le patronat autochtone joue parfois le rôle de porte-drapeau. Dans les pays industriels, ce consensus n’apparaît que lors des grandes crises de la vie nationale.L’aménagement de l’économieDans le domaine économique, l’organisation patronale peut se borner à renseigner, à faciliter les communications et à entretenir quelques installations d’intérêt commun. Mais elle va souvent beaucoup plus loin: elle aide à la diffusion des techniques et des pratiques commerciales, à l’exploration des marchés. Elle peut être parfois (surtout en Europe) très proche du cartel en contrôlant un comptoir de vente, ou même en amenant directement les entreprises à se concerter. Elle réglemente souvent la concurrence.Il est difficile – et les tribunaux chargés de réprimer les ententes illégales l’ont souvent montré – de distinguer ce qui est élimination de procédés déloyaux de ce qui est entrave à la concurrence; ou encore, ce qui est effort louable pour «assainir» ou «réorganiser» une profession de ce qui est crime de monopole. L’important est plutôt que la tendance, malgré les progrès des échanges internationaux, soit au maintien de ces interventions. Une économie institutionnelle apparaît. On en connaît mal les lois, mais l’État y est un partenaire à part entière même lorsqu’il se veut libéral.La négociationDans la négociation entre employeurs et salariés, le rôle des organisations patronales est prédominant, notamment en Europe et dans les pays d’influence européenne. L’État y tient aujourd’hui une grande place, non seulement parce qu’il en dessine le cadre, mais aussi parce que, responsable de la politique économique, il en détermine les moyens et les rythmes et parfois même l’orientation.En ce domaine, cependant, une crise est sensible dans toute l’Europe industrielle. Alors que les fédérations de branche étaient les meneurs de jeu, elles sont maintenant menacées de deux côtés:– Les entreprises réclament et obtiennent parfois une plus grande liberté de manœuvre et d’initiative: elles veulent, par exemple en Angleterre, discuter directement des mesures de productivité avec leur personnel et ses représentants, sans la tutelle de la fédération. Ce serait, bien sûr, le seul moyen de négocier les salaires effectifs. Il est peu probable que cette tendance conduise à retrouver purement et simplement le modèle américain, mais elle a des chances de se poursuivre dans l’avenir.– Les problèmes de l’emploi et de la politique des revenus relèvent de l’arbitrage et même directement de la compétence des confédérations. Aussi l’autorité de celles-ci s’accroît-elle un peu partout. Les pays scandinaves, où l’organisation est fortement centralisée, indiqueraient-ils l’avenir qui attend le reste de l’Europe?Il faudra sans doute quelque temps pour qu’un nouvel équilibre se réalise en ce domaine. Qu’il s’agisse de la négociation ou de ses autres fonctions, l’organisation patronale ne peut plus être seulement la représentation d’intérêts sectoriels et locaux. Elle est devenue une force nationale dont l’action se fait sentir dans toute la vie économique. Elle est un élément du jeu complexe de pouvoirs et de contre-pouvoirs qui sont le fondement de la vie politique.
Encyclopédie Universelle. 2012.